Extrait de Blood, Bread and Roses, par Judy Grahn
Traduit par Xella Sieidi
Les rites menstruels qui nous parviennent du 19e siècle nous paraissent souvent cruels : les jeunes filles devaient s’asseoir dans une position fixe pendant plusieurs journées, voire semaines, devaient manger d’une drôle de manière, étaient parfois attachées et « fumées » dans des hamac et pouvaient subir d’autres traitements du genre.
Certains chroniqueurs de ces pratiques, dont James Frazer, qui a amassé une quantité faramineuse d’information pour son livre Le rameau d’or, étaient horrifiés de ce dont ils étaient témoins et de ce qu’on faisait endurer à ces jeunes femmes; pour eux, ces rites étaient une forme de punition.
Et pourtant, ces rites élaborés, strictes et étranges nous fournissent bien des informations sur la façon dont le menstruations ont influencé le caractère humain, formé qui nous sommes, comment nous nous comportons face aux autres, la posture que nous adaptons pour marcher sur la terre et la façon dont nous en sommes venus à créer et utiliser le terme «terre ».
Moi aussi, j’ai été horrifiée de certains comptes-rendus de ces rites qui allaient à des extrêmes impensables et j’ai cru que c’étaient les hommes qui imposaient un système brutal à des jeunes femmes sans défense. Toutefois, dans son livre Les Mères publié en 1927, Robert Briffault offre une interprétation différente :
« Les termes utilisés pour exprimer nos comptes-rendus sont calculés afin de suggérer que ces attitudes étaient imposées aux femmes par le biais d’une tyrannie brutale et de l’ignorance superstitieuse des hommes, mais les femmes, en remplissant leur fonction laborieuse, ne le faisaient jamais parce que cela leur était imposé par les hommes. Les femmes, comme le suggèrent la plupart des comptes-rendus, se sont isolées elle-même, sans consulter les hommes, ont même prévenu ces derniers de ne pas les approcher. »
Plus tard, alors que les anthropologues apprenaient les langues tribales, posaient plus de questions qui allaient en profondeur et que le mouvement féministe du 20e siècle encourageait les femmes à s’exprimer à l’oral et l’écrit, d’autres histoires ont émergé, suggérant que certaines femmes accueillant ce confinement menstruel comme un répit des tâches ménagères et une occasion agréable de passer du temps entre femmes pour prendre le thé et discuter.
Des anthropologues femmes comme Jane C. Goodale et Margaret Mead ont rapporté des cérémonies détaillées autour des ménarches qui étaient connectées à des cérémonies de mariage et d’une éducation que recevait les jeunes femmes pour leur apprendre à tisser, cuisiner et s’occuper de leur famille et maisonnée.
Dans les années 70, j’ai éprouvé des difficultés à trouver ce que les femmes avaient pu avoir comme contribution dans le développement de la science et de la culture. Puis, j’ai réalisé que la quantité d’information sur les tabous recueillie par James Frazer et Robert Briffault prenait un tout autre sens si je m’intéressais à l’origine féminine du pouvoir du sang.
C’est ainsi que j’ai commencé à élaborer ma théorie que les menstruations, de par leur relation avec la lune, étaient probablement la source la plus ancienne des sciences géométriques, mathématiques et celle qui consiste à mesurer quelque chose. Plus tard, alors que j’étudiais les rites d’isolement menstruel et les autres pratiques autour des menstruations en termes d’histoires originelles, j’ai commencé à voir que les menstruations étaient non seulement une source possible de première science, mais aussi la source de tout ce qui fait de nous des êtres humains.
C’est ainsi que j’ai commencé à m'interroger à ce que les informations contradictoires à propos des rites d’isolement et autres pratiques menstruelles auraient l’air si c’était les femmes, non les hommes, qui les établissaient. J’ai approché la chose en supposant que les rites sont institués pour des raisons rationnelles plutôt d'irrationnelles et qu’il est plus que probable que chaque genre ait créé ses propres rites. La logique féminine serait donc à la base des rites menstruels.