Avec le pouvoir du sang féminin vient une panoplie de croyances qui ont souvent été mal interprétées. Dans plusieurs cultures, les ethnologues ont pu remarquer que les femmes menstruées et le sang féminin étaient considérés « tabou »; elles doivent être évitées afin qu’elles ne contaminent pas les hommes, leurs activités, ou leurs possessions. Mais ces chercheurs n’ont pas su comprendre pleinement ces interdictions; ils n’ont certainement pas compris leurs valeurs positives. Oui, les femmes menstruées peuvent être sujettes à des restrictions, mais elles sont également considérées sacrées et puissantes.
Durant ma formation chamanique au Guatemala, j’ai appris de première main à propos des tabous menstruels. Très tôt dans la formation, Don Andrés et Dona Talin m’ont demandé si j’avais été menstruée durant mes visites aux sanctuaires externes. Heureusement, non. J’ai appris qu’une femme non initiée et menstruée ne doit pas approcher l’encens de copal qui brûle à ces sanctuaires car l’odeur du sang se mêlerait aussitôt avec celui de la fumée et s’élèverait jusqu’aux demeures des ancêtres. Une telle offrande est considérée comme une forme puissante de « nourriture » pour les défunts. Cela ne pouvait être offert que par une femme qui avait formellement été introduite aux ancêtres et en qui on pouvait alors faire confiance, elle continuerait à les nourrir aussi longtemps qu’elle vivrait. Si une femme devait s’engager ainsi pour sa vie et échouait sa formation, et son sang menstruel deviendrait comme un poison pour les ancêtres, qui seraient tués une fois de plus et à jamais.
Le mot « tabou » - signifiant « marqué en profondeur » ou « séparé et interdit au profane à cause de ses pouvoirs sacrés dangereux » - nous vient des îles polynésiennes de Tonga. Là et ailleurs dans le Pacifique, ces concepts du sacré, du dangereux et de l’interdit sont fortement liés.
Aux Marquises, les premières menstruations d’une femme chef étaient appelées à élaborer des tabous célébrant son mana, son pouvoir sacré. Ces rituels étaient aussi importants pour l’autorité des femmes que pouvaient l’être les tabous des hommes à propos de l’art de la guerre pour un chef homme. Aux Fiji, une femme menstruée est appelée « dra tabu », qui signifie « sang sacré » ou « sang interdit ». Son sang menstruel, aussi, est infusé de son mana.
Dans les Grandes Plaines de l’Amérique du Nord, durant les temps de la pré-réservation, les femmes laissaient leurs hommes durant leurs menstruations et s’installaient dans des loges spéciales où elles recherchaient contact avec des êtres spirituels. Les hommes, croyant que le sang menstruel pouvait faire fuir les animaux et affecter le pouvoir de leurs esprits gardiens, se cachaient également dans leur propre loge. Toutefois, ni les femmes ni les hommes ne voyaient les menstruations comme honteuses ou sales; plutôt, elles étaient puissantes, magiques et dangereuses. Une femme menstruée pouvait être taboue, mais elle n’était pas impure.
La Malice du Coyote
Les légendes sur la Création des autochtones d’Amérique révèlent leurs attitudes culturelles à propos des femmes et des menstruations. Plusieurs de ces mythes mettent en scène un héros-escroc connu sous le nom de Coyote. Selon une version datant du début du vingtième siècle, Coyote créa les premières menstruations afin de punir une belle jeune fille pour lui avoir refusé ses faveurs sexuelles.
Nous avons choisi cette histoire – rapportée par l’anthropologue Alfred Kroeber d’une femme chamane Yurok en Californie – lorsque la jeune fille repousse les avances sexuelles outrageuses du Vieil Homme Coyote.
Elle le rejeta et Coyote devint si en colère qu’il alla voir Pulekukwerek [le héros culturel] et lui dit : « Je crois [qu’il serait] mieux qu’une femme ait des fleurs. Lorsqu’elle les aura, elle verra du sang. »
La divinité était d’accord avec Coyote et se coupa à la cheville. Puis, il éclaboussa son sang sur les cuisses de la jeune fille.
« Tu as des fleurs maintenant », lui dit Coyote.
« Non! » cria la jeune fille.
« Oui, je vois du sang sur tes jambes », insista Coyote.
Puis, comme Coyote commençait à énumérer une panoplie de tabous, Femme Ciel parla depuis le milieu des cieux et dit :
« Nous sommes ici dans le ciel, nous les femmes, qui fleurissons. Nous n’en sommes pas effrayées, car nous possédons la médecine pour cela. Maintenant, regarde vers l’amont. Je m’y lave moi-même. Maintenant, regarde au milieu du lac dans le ciel, tu peux voir combien de sentiers mènent à ce lac. Maintenant, regarde où je me trouve. Tu peux voir du sang autour de moi parce que je suis ainsi maintenant. Je suis en fleurs. J’irai dans le lac et je m’y laverai, et ainsi j’obtiendrai bonne fortune. Dis-lui que je me lave dans le ciel. »
En dépit des actions du Coyote, Femme-Ciel enseigne à la jeune fille de ne pas avoir peur de son saignement, mais de le voir comme de magnifiques fleurs.
Une femme d’une autre culture indienne de Californie a récemment raconté au chaman Tela Star Hawk Lake une histoire un peu différente à propos de l’origine des menstruations.
Un jour, il y a fort longtemps, Vieil homme Coyote était partit chasser avec son arc et sa flèche. Il vit quelques jeunes femmes superbes assemblées pour ramasser des herbes près d’un étang. « Peut-être les viserai-je de mes flèches pour qu’elles s’en aillent » se disait-il à lui-même.
Tu vois, il voulait qu’elles s’enfuissent afin d’observer si leurs seins et leurs hanches étaient bien développés. Il chanta sa chanson d’amour et prétendit qu’il voulait les tirer. Et cela l’amusait beaucoup. Puis, il tomba soudainement sur le sol et une de ses flèches se décocha, heurtant une des jeunes filles à l’entrejambe. Elle tomba sur le sol, saignant et pleurant.
Les femmes plus âgées accoururent vers elle et crièrent jusqu’à s’époumoner pour chasser Coyote.
Il devint furieux et dit : »Vous ne pouvez pas me parler de cette façon! Je vais vous montrer tout le pouvoir que je détiens! Je jette une malédiction sur toutes les jeunes femmes! À partir de ce jour et à jamais, les filles de cet âge saigneront, seront apeurées et deviendront malades. »
Mais les femmes plus âgées avaient également un pouvoir et voulurent soigner la jeune fille. D’abord, elles amassèrent du saule près du ruisseau et construisirent une loge spéciale, similaire à la loge de sudation des hommes. Elles entrèrent à l’intérieur et chantèrent, dansèrent et prièrent au-dessus de la jeune fille, demandant à Grand-Mère Lune de la guérir. Elles lui donnèrent la médecine des herbes et des fleurs, lui apprirent comment contempler, méditer et apprendre de ses rêves.
C’est ainsi que les femmes-médecine changèrent la malédiction des menstruations de Coyote en Bénédiction de la Femme-Médecine.
Le psychanalyste Carl Jung décrivait Coyote comme une « figure d’ombre collective » asexuelle, la quintessence de tous les traits de caractère inférieurs en tous les individus. Son analyse minimise le genre du Coyote ultra-masculin, qui est représenté dans ces mythes, d’abord comme le héros d’une culture de qui proviennent les menstruations, ensuite comme un fou qui le fait accidentellement. Dans les deux cas, les femmes le surpassent, en tournant ses tabous menstruels en rites de puberté et sa malédiction en bénédiction menstruelle.
La différence entre les attitudes des hommes et celles des femmes envers les menstruations est également mise en lumière dans d’autres traditions autochtones d’Amérique. Dans la mythologie Cri, on croyait que le maïs poussait parce que la mère primordiale frottait ses jambes une fois par mois, ce qui faisait couler son sang comme de la bouillie de maïs. Depuis lors, les rayons masculins du soleil luttent pour sortir de cette abondance d’eau menstruelle féminine. Une telle métaphore suggère que pour encourager la croissance de la nourriture, les hommes doivent se séparer des femmes chaque mois. Les hommes cris ont le dédain de l’odeur du sang menstruel, et croient que ça indique une femme dangereuse ou incontrôlable qui peut ruiner leurs habiletés à chasser et leur santé. Les femmes cris, quant à elles, croient que le flux menstruel leur donnent pouvoir et ainsi force une séparation des sexes. Historiquement, les femmes vivaient à part des hommes durant le temps des menstruations, mangeaient avec une autre vaisselle que celle des hommes, et s’asseyaient sur différents tapis. Les hommes et les femmes contemporains dormaient dans des chambres différentes, ou quand la température le permettait, les hommes dormaient à l’extérieur sous un abri. Si une famille négligeait ces règlements, on croyait que les hommes risquaient alors d’attraper un certain nombre de maladies, incluant le diabète, le cancer, le rhumatisme ou risquait de faire un AVC.
Les femmes menstruées sont représentées dans plusieurs cultures comme des déesses donneuses de vie ou comme des démons polluants. Parfois, un peu des deux. La vision négative se retrouve plus souvent là où un clergé hiérarchique masculin contrôle étroitement l’idéologie religieuse. La pratique hindoue du tantra inclue des rituels où l’on vénère le cycle menstruel; dans le courant de l’hindouisme sanskritique, toutefois, ces rituels sont considérés comme polluants. Dans le Shinto japonais – où les dirigeants religieux sont surtout féminins – les femmes menstruées sont reconnues pour représenter le divin féminin. Le bouddhisme clérical pratiqué au Japon, en Chine, au Tibet et en Inde – où les prêtres sont presque tous masculins – déclare que les femmes menstruées sont sales.
La honte, la peur et l’envie des menstruations
Des générations de chercheurs en sciences sociales ont accordé plus d’attention aux paroles et actions des hommes plutôt que celles des femmes. Par conséquent, les archives ethnographiques débordent des descriptions de la peur de l’homme, de son dégoût et de sa colère à propos des femmes menstruées. Les femmes ethnographes peuvent avoir de la difficulté à accepter ces attitudes, mais parce qu’elles parce qu’elles se permettent de devenir des « males honoraires » pour les sociétés dans lesquelles elles étudient, leurs points de vues peuvent être influencés.
Ruth Landes, dans son classique « La femme Ojibwa » (1938) laisse son dégoût pour les menstruations affecter tout ce qu’elle voit. Elle décrit les premières menstruations parmi les Ojibwe comme étant un temps où la jeune fille est une menace pour elle-même. Elle déclare également que la quête de vision d’une fille n’importe culturellement pas. « Alors que la quête de vision du jeune homme pubère est un effort rempli d’espoir vers l’élargissement de ses horizons, la quête de la jeune fille pubère est quant à elle un retrait de conscience de son Soi malin. »
Une autre ethnographe, Ruth Underhill, a admis qu’elle avait un problème à comprendre et à accepter les tabous menstruels. Elle avait demandé à une femme Tohono O’odham (Papago) qu’allait-on faire pendant son absence : « Cela ne vous dérange pas d’être envoyée en dehors de votre maison? » La femme avait ri et lui avait répondu « Me déranger! Pourquoi? Ce sont des vacances, pour nous les femmes. Pas de travail à faire, quand bien même les hommes le voudraient ». Underhill insista, toutefois : « Cela ne vous dérange pas –hum- que les gens sachent [que vous êtes menstruée]? » La femme était vraiment amusée. « Pourquoi le devrions-nous?, lui répondit-elle. « C’est le moment où nous sommes le plus puissantes et les hommes sont effrayés. Nous aimons les voir passer furtivement, le dos tourné. »
En montrant son propre embarras, et en recevant les réponses claires de cette femme face à ses questions stupides, Underhill fournit une histoire mémorable pour démontrer la sensibilité interculturelle. Le malaise que tant de femmes occidentales ressentent à propos de leur cycle menstruel résulte d’une combinaison des sentiments masculins et des sanctions religieuses.
Dans la tradition chrétienne, la malédiction menstruelle et la douleur de l’enfantement sont l’héritage de la désobéissance d’Ève dans le Jardin d’Éden. En mangeant le fruit de la connaissance, offert par le serpent, apporta ces punitions à toutes les femmes mortelles. Jusqu’à ce jour, le sang menstruel est encore considéré comme impur par l’Église catholique romaine. Une raison pour laquelle les pères de l’Église refusent de permettre l’ordination des femmes en tant que prêtres est que leur sang utérin polluerait l’autel sacré.
Dans la tradition juive, aussi, les menstruations sont le résultat des actions d’Ève dans le Jardin d’Éden. La femme menstruée, appelée niddah en hébreu, doit suivre un code légal spécifique lui interdisant d’avoir des relations sexuelles. Chaque mois, elle compte cinq jours de menstruation, et y ajoute sept jours de pureté, durant lesquels elle plonge son corps dans la mikvah, un bain rituel. La loi Talmudique stipule que s’il est permit à une femme de cohabiter avec son époux après le bain, au huitième jour, il ne lui est pas permis de prendre ce bain durant le Sabbat, même si c’est son huitième jour.
Dans la société occidentale, les femmes cachent leur saignement menstruel dans leur langage – par des euphémismes – et en pratique. Les études ont démontré que plusieurs jeunes femmes cachent leurs premières menstruations à leurs mères et partagent leurs expériences avec d’autres jeunes femmes seulement après une certaine période de temps. La psychologue Melanie Klein pense que ces filles agissent ainsi parce qu’elles associent inconsciemment le sang menstruel avec l’urine et les matières fécales, donc, avec la contamination.
Il y a aussi eu une raison sociétale pour laquelle les femmes minimisent leurs cycles menstruels : au tout début de la révolution industrielle, les hommes doutaient que les femmes dans la main-d’œuvre pouvaient être capables d’effectuer leurs tâches jour après jour. Les réformateurs sociaux embauchèrent des chercheurs pour prouver que les femmes pouvaient effectuer leur travail lorsqu’elles étaient menstruées aussi aisément que lorsqu’elles ne l’étaient pas. Ils conclurent que les femmes ne démontraient aucune inefficacité dans les travaux manuels ou dans les associations de mots durant leurs menstruations. Des études plus récentes révèlent quelque chose de légèrement différent : évidemment, l’habileté pour la routine physique diminuait quelque peu, mais la pensée créative and la résolution de problèmes s’amélioraient vraiment peu avant et pendant les menstruations.
Les psychanalystes ont contribué à répandre le sentiment de honte pour les menstruations. Sigmund Freud, qui avait de façon générale dédain de la femme, réduisait toutes inclinations ésotériques en désir enfantin de retourner à l’utérus « océanique ». Bruno Bettelheim, toutefois, suggère que l’hostilité entre hommes et femmes, qui résulte fréquemment du dégoût envers les menstruations, est profondément lié à la jalousie du vagin et de l’utérus.
Le résultat global est que pendant trop longtemps les femmes occidentales ont eu à s’excuser pour leur sang féminin. Il est temps pour les femmes d’embrasser cette différente; ensuite seulement les hommes pourront-ils apprendre à respecter le pouvoir des menstruations.
La fierté féminine des menstruations
La honte entourant les menstruations qui semblent faire partie de la société Occidentale est une guerre culturelle contre la nature. Des membres de d’autres traditions nous pouvons entendre encore et encore les vertus du sang féminin et la réclusion lors des règles. Philip Deere, un saint homme Muskogee de l’Oklahoma, l’exprimait de cette façon : « La femme est pareille à l’homme – mais à un certain âge elle change pour un autre stade de la vie. Durant ce stade, elle se purifie naturellement elle-même chaque mois. Durant ce temps mensuel, les femmes se séparent des hommes. Les hommes doivent prendre un bain de vapeur pour se purifier, une fois par moi, alors que les femmes se purifient naturellement pour garder leur médecine effective.
De même, les femmes Aymara vivant près du Lac Titicaca, en Bolivie et au Pérou, croient que les menstruations nettoient et renforcent leur spiritualité. Les ethnologues ont décrit ces femmes, qui ont voyagé partout à travers les Andes pour pratiquer leurs habiletés shamaniques guérisseuses, sont plus puissantes que les hommes guérisseurs. De l’avis de ces femmes, le flux mensuel du sang les purifie et les renforce, les rendant spécialement efficaces pour la guérison de problèmes reproducteurs comme la stérilité et l’infertilité, ou autres problèmes comme le trouble entre amants.
Dans les sociétés où les femmes sont perçues comme une menace pour les hommes, les rituels de menstruation masculine ont été développés peut-être pour partager le pouvoir féminin. Les hommes mélanésiens, par exemple, croient avec ferveur que tout contact avec des substances féminines – surtout le sang menstruel – est dangereux. Cependant, ils envient les femmes, qui sont libres de toute « contamination » grâce à leurs menstruations. Pour compenser, ils ont inventé les saignées rituelles, qui imitent l’écoulement de sang mensuel des femmes. À partir de la puberté jusqu’à la fin de leur vie, les hommes provoquent le saignement de leur nez ou de leurs organes génitaux.
En Australie, les hommes aborigènes étaient traditionnellement circoncis durant les cérémonies de puberté lors desquelles les adultes, femmes et hommes, participent. Au début du rituel, les jeunes hommes sont barbouillés de sang menstruel, et un trou en forme d’utérus est préparé dans le sol. Un par un, les jeunes hommes sont placés dans la cavité et on leur dit que Kawardi, la « mère de tous », les avalera et les régurgitera – qu’ils mourront et renaîtront. Pendant ce temps, le bruit d’un rhombe (une planche attachée à une corde, basculée rapidement en cercles au-dessus de la tête) imite la voix de Kawardi.
Quelques années plus tard, ces mêmes jeunes hommes étaient circoncis. C’était une opération douloureuse durant laquelle on utilisait un couteau pour couper la surface ventrale du pénis sur toute sa longueur; ainsi, ils avaient un vagin symbolique. La dernière étape de leur initiation consistait à être avalés et régurgités par Julunggul, le serpent arc-en-ciel. Ils rampaient ensuite entre les jambes de leurs initiateurs et renaissaient androgynes de cet utérus collectif masculin. À partir de ce moment, une fois tous les mois, la blessure de leur pénis était rouverte grâce à une épine; la combinaison du flux sanguin et du sperme étaient relâchés comme étant l’essence vitale de vie.
Selon l’ethnologue anglais Ashley Montagu, la subincision étaient considérée valable parce qu’elle permettait aux hommes de menstruer et ainsi se débarrasser du « mauvais sang » qui résultait des relations sexuelles et des activités dangereuses. Les femmes perdaient ce sang naturellement avec les menstruations, alors que les hommes avaient à agir pour obtenir le même résultat.
Durant les rites de puberté des jeunes hommes Wogeo en Nouvelle-Guinée, les langues des initiés étaient coupées afin de les débarrasser du sang de leurs mères, transmis lors de l’accouchement. Cette saignée rituelle ou imitation des menstruations, devaient rendre les langues de ces hommes plus souples pour les aider à jouer de la flûte sacrée. Les cérémonies avaient lieu à la nouvelle lune, alors que les jeunes filles quittaient le village pour leur période de réclusion menstruelle.
Pour une personne née et élevée dans une société où les réalisations des hommes sont exaltées et où le rôle des femmes est déprécié, ces émulations du sang féminin peut paraître bizarre ou arriéré. Après tout, les femmes de la société occidentale, supposément créées à partir de la côte d’Adam, s’efforcent d’imiter les hommes. Dans la culture de la Nouvelle-Guinée, toutefois, où les hommes craignent l’habileté des femmes à donner la vie, ce sont eux qui essaient d’imiter le pouvoir supérieur des femmes.
Couvade
Rien n’incarne la force de vie reproductrice féminine aussi bien que la grossesse elle-même, et à certains endroits dans le monde, les hommes souhaitaient partager ce pouvoir en pratiquant certaines précautions appelées couvade. Cette tradition a d’abord été remarquée chez les Basques et le nom provient du français « couver ». Après avoir accouché, une femme retournait à ses corvées, pendant que son époux s’étend sur le lit pour recouvrer ses forces.
La couvade a été illustrée au seizième siècle, dans la peinture de l’Espagne coloniale. Et selon la tradition celtique, chaque fois qu’une reine fée donnait naissance, son époux, aussi, se couchait dans le lit pour partager sa douleur. Quelques peuples ruraux de descendance celtique vivant en France, en Allemagne et dans les Îles Britanniques ont conservé cette coutume. Au Canada, où les Celtes se seraient mariés avec des autochtones, cette tradition est honorée en mythe, rituel et occasionnellement en pratique. Les Tupinamba du Brésil et des Quichua de l’Équateur suivaient une coutume similaire : l’époux d’une femme qui venait de donner la vie portait les vêtements de sa femme, couché dans son hamac, recevant des félicitations de ses proches. Pendant ce temps, sa femme était debout, nettoyait et préparait à manger.
À l’époque médiévale, les Européens croyaient que la douleur physique et la souffrance pouvaient être partagées par l’échange des vêtements. Une femme en couche portait un des habits de son époux; l’homme revêtait l’une de ses robes et se roulait sur le sol en gémissant. Dans certaines communautés de l’Inde, les hommes portent les saris de leur femme durant l’accouchement afin de transférer la douleur à eux-mêmes. Ces rituels ont été interprétés de plusieurs façons – comme étant l’expérience indirecte de l’accouchement par l’homme, comme une forme d’émasculation et de soumission ou comme une réaction jalouse venant du fait que les hommes ne peuvent pas donner naissance.
Les deux époux de certaines sociétés indigènes pratiquent ensemble des rituels post-partum. Chez les Wayapì de l’Amérique du Sud d’aujourd’hui, les nouveaux parents prennent des précautions élaborées relativement à ce qu’ils mangent et à où ils vont. Les peuples indigènes de Californie avaient un ensemble de restrictions parentales similaire appelé par les ethnologues « la semi-couvade ». Là, le couple était considéré physiquement comme un; l’homme, plutôt que de se sentir blessé par le pouvoir de la femme, le partageait. Il abandonnait ses activités masculines comme la pêche et les jeux d’argent, se retirait des autres et il gardait sa propre sécurité, comme le faisait son épouse. Toutefois, plutôt que de se reposer durant sa couvade, il s’occupait des tâches féminines, comme celle d’aller amasser le bois pour le feu. Il prenait un bain tous les jours et avait un homme pour s’occuper de lui, tout comme sa femme avait sa sage-femme pour prendre soin d’elle. Un homme qui s’identifiait beaucoup à l’expérience de grossesse que vivait sa femme pouvait développer des symptômes de grossesse, comme la léthargie et les nausées. Puis, il pouvait aussi gagner son lit au moment de la naissance. Lorsque sa femme criait pour pousser l’enfant vers le monde, lui, aussi, en ressentirait les douleurs.
Parfois, la couvade causait de la douleur physique. Dans le nord de la Californie, les hommes autochtones se retiraient dans un autre bâtiment que celui où leur femme allait avoir l’enfant. Ils restaient solitaires, ne se nourrissaient que de soupe de gland de chêne, et faisait appel au monde des esprits afin de recevoir de l’aide pour l’accouchement. De cette façon, lorsque la femme souffrait, son époux souffrait également. Lorsqu’elle saignait, il se coupait lui-même avec une pointe de silex pour prendre un part de sa douleur.
Selon la tradition Huichol, lorsqu’une femme donnait naissance à son premier enfant, son époux devait s’accroupir directement au-dessus d’elle, des cordes attachées à ses testicules. Lorsque la femme entrait en travail, elle s’accrochait vigoureusement aux cordes et son époux partageait ainsi l’expérience douloureuse, mais ultimement heureuse, de la naissance.
Un rituel similaire avait lieu en Estonie. L’époux s’asseyait sur une haute plateforme, ses testicules attachés à une corde qui tombait dans le lit de sa femme en couche. Chaque fois que sa femme gémissait, sa sage-femme tirait fort sur la corde, provoquant les cris de l’époux. L’idée derrière ce rituel était de transférer un peu de la douleur génitale au père afin qu’il puisse compatir et encourager sa femme.
Voies shamaniques féminines
La plupart des étudiants en chamanisme ont suivi Mircea Eliade, portant leur attention surtout sur les voies shamaniques masculines – démembrement, éviscération et mort symbolique conduisant à la renaissance – comme s’il s’agissait d’une initiation shamanique nécessaire. Les femmes qui suivent les voies féminines portent leur attention sur la naissance : elles reçoivent leur appel shamanique durant leurs ménarches (premières menstruations) ou durant leur grossesse et sont symboliquement nées dans la profession. Dans de nombreuses traditions de Sibérie, de l’Asie du Sud-est et de Chine, les femmes shamanes ne servaient pas seulement de sages-femmes pour leurs communautés mais durant leurs séances attachaient des cordes au plafond afin d’amadouer leurs esprits-guides pour qu’ils descendent dans leurs corps, avant de commencer leur travail shamanique.
La croyance judéo-chrétienne a dépeint les menstruations comme une forme de punition ou de souillure plutôt qu’un temps pour l’éveil spirituel et de purification naturelle. Des attitudes anti-menstruelles ont tordu notre compréhension du pouvoir du sang menstruel et des célébrations organisées et conduites par les femmes menstruées. Le retrait des femmes de certains endroits spéciaux lors de leurs règles a été interprété comme un signe de la dégradation des femmes plutôt que de représenter les aspects positifs de la réclusion. Pour vraiment comprendre le potentiel guérisseur du sang des femmes, nous devons porter une attention particulière aux traditions dans lesquelles les femmes pratiquent comme shamanes.
Les femmes d’aujourd’hui, indépendamment de leurs affiliations ethniques et religieuses, pourraient développer des rituels pour célébrer leur divin féminin et leurs menstruations. Durant cette période spéciale, elles pourraient faire des pèlerinages jusqu’à des endroits sacrés pour s’harmoniser avec leur biorythmes naturels et leur courant menstruel. En se libérant elles-mêmes de l’idée dommageable qui veut que les menstruations soient une « pollution » ou une « malédiction », et en réalisant des rituels pour leurs temps de lunes, cela encouragerait leurs pouvoirs intuitifs et spirituels, et elles seraient ainsi plus fortes dans plusieurs autres aspects de leurs vies.
Avec l’entrée récente des femmes dans des rôles de leadership dans les rabbinats Conservateurs ou de la Réforme, les femmes juives peuvent maintenant se joindre aux groupes Rosh Hodesh pour célébrer la nouvelle lune et pratiquer la guérison spirituelle. Plusieurs des femmes impliquées dans ce mouvement sentent que ces célébrations lient la lune à leurs cycles menstruels.
Les femmes du mouvement spirituel de la Déesse rassemblent leur sang menstruel et l’utilisent pour nourrir les plantes de la maison, ou pour peindre une toile qu’elles montrent publiquement. Ces activités sont contraires à la vision des menstruations comme étant la « malédiction d’Êve ». Plutôt que de les voir comme quelque chose d’embarrassant, de dégoûtant, comme un fléau pour les femmes, le sang menstruel devient une forme matérielle d’énergie subtile – propre, belle, créative et puissante – et c’est ce qu’il est.
Sans doute, la leçon la plus basique de toutes est que les femmes peuvent atteindre des états de conscience mystiques – et servir de guérisseuses shamaniques – en considérant leurs corps et leurs fluides corporels comme étant intégraux à leur spiritualité et non comme des obstacles envers celle-ci. Lorsque le sang féminin est senti comme une matérialisation de l’énergie vitale, les menstruations donnent aux femmes une voie spéciale vers la compréhension et la guérison spirituelles.