Au premier âge des divinités, l’existence naquit de la non-existence,
Les quartiers du firmament naquirent de Celle qui s’accroupit, les jambes écartées.
La terre est née de Celle qui s’accroupit, les jambes écartées.
Et de la terre, les quartiers du firmament sont nés.
Rig Veda, 10.72.3-4
Cette mystérieuse déesse, à la tête de lotus, est toujours dépeinte avec les jambes grandes ouvertes et levées de manière à suggérer l’accouchement (la posture adoptée traditionnellement dans les villages indiens) ou une réceptivité sexuelle.
Toujours honorée comme une déesse de la fertilité dans certaines régions rurales d’Inde, c’est entre le 6e et le 12e siècle de notre ère que son culte a grandit prodigieusement; ses images proliféraient en Inde centrale, des figurines de terre cuite sur les autels familiaux aux larges (parfois même grandeur nature) sculptures de pierre décorant richement les temples. À partir du 13e siècle, son culte plonge dans l’obscurité. Les érudits attribuent ce déclin à la montée de l’islamisme et du christianisme et à leur attitude intolérante face aux représentations de nudité et sexualité humaine (en particulier féminine). Une autre plausible est la monté des cultes aux déesses tantriques, qui présentaient les forces créatives et primales du divin féminin de façon plus subtile et abstraite.
Son histoire
Les premières références littéraires à Aditi apparaissent dans le Rig Veda, où on la nomme « Uttanapad », un terme décrivant sa posture. L’éminente érudite en sanskrit Wendy Doniger O’Flaherty identifie cette déesse védique comme le principe féminin de la création ou de l’infinité, en disant :
« Ce mythe de création se concentre sur l’image de la déesse accroupit, les james écartées (Uttanapad). Ce terme, souvent utilisé comme un nom propre, désigne une position associée au yoga et à la femme qui accouche. La Déesse Mère est souvent ainsi représentée en sculpture : les pieds étirés vers l’avant, les genous relevés et les jambes bien écartées. »
Sa collère, Carol Radcliffe Bolon, acquiesce, en disant que « la déesse la plus connue sous le nom de Lajja Gauri correspond à la description védique d’Aditi, la Mère des Dieux », mais soulève que les artisans illetrés qui ont façonné ses sculptures et les dévots qui lui vouaient un culte ignoraient probablement son formidable pedigree.
Toutefois, dans ce cas, l’ignorance des interprétations sacerdotales n’était pas un grave handicap : le message visuel de Lajja est abondamment clair. Ses fréquentes juxtapositions avec le Shiva Linga (un symbole phallique du principe divin masculin) et son association avec le lion et le dieu Ganesh suggèrent sans aucun doute qu’elle était considérée comme une manifestation de Devi, plus particulièrement de Parvati, aussi appelée Gauri. Sa grandeur, égale à celle de Shiva, et l’exhibition proéminente de ses seins, suggérant l’aspect nourricier, et de son yoni (vulve, utérus; suggérant le pouvoir créatif et générateur), indiquent qu’elle était probablement le consort du Linga masculin.
Plusieurs mythes existent au sujet de Lajja Gauri, mais les érudits croient qu’ils ne sont pas authentiques et qu’ils sont des tentatives tardives de remplacer les mythes originels et oubliés de la déesse. Plusieurs de ces mythes inclut un Shiva dominant mettant à l’épreuve la modestie de son épouse en la dénudant publiquement, suite à quoi la tête de la déesse tombait ou s’enfonçait dans son corps honteusement, prouvant ainsi sa pureté – et prouvant ainsi que Shiva était à l’origine du nom de la déesse, qui ne correspond pas vraiment à son apparence provocatrice; Lajja Gauri se traduit par Parvati la modeste ou Parvati la honteuse.
Ce sont dans les légendes transmises oralement qui circulent toujours en Inde rurale que l’on peut trouver la véritables signification de son nom. Nous avons vu plus haut qu’elle se nomme parfois Matangi, la Déesse exclue, une forme de Parvati, connue pour ignorée et défier les règles, hiérarchies et conventions de la société. Ailleurs, elle était connue sous le nom de Renuka, une femme exclue de la société et dont la tête fut tranchée par un homme de caste supérieure. Au lieu de mourir, un lotus aurait poussé au lieu de sa tête et elle serait ainsi devenue divine. Ces légendes, qui racontent toutes deux la déification d’une femme exclue, semblent suggérer la vitalité du principe féminin, sa transcendance et sa supériorité ultime sur tout système créé par l’homme qui tenterait de contenir ou contrôler le pouvoir créateur féminin.
Son iconographie
Peu importe les origines ultimes de Lajja Gauri, elle est, de toute évidence, une déesse de très bon auspice. Tout à propos d’elle suggère la vie, la créativité et l’abondance. Ses représentations sont presque toujours associées avec des pousses, des chutes d’eau et autres formes d’eau courante, des images symbolisant la vitalité. Son ventre bien rond suggère la grossesse ou la plénitude; son torse était souvent anciennement représenté par un pot, un autre symbole de prospérité et abondance. Sa tête est généralement une fleur de lotus, un puissant symbole réunissant le bient-être matériel et spirituel. Il est intéressant de noter que ce sont là des symboles aujourd’hui associés à Lakshmi, la patronne de la plénitude et l’abondance. Les membres de Lajja Gauri se terminent le plus souvent en vignes, l’association ainsi à la créativité et à l’abondance – la sève nourrissante du monde des plantes – tant végétale qu’humaine.
Elle est toujours représentée comme allongée, au niveau des pieds, dans sa posture uttanapad distincte, comme si elle s’élevait de la terre, une manifestation du yoni primordial duquel toute forme de vie naît. En effet, sa posture d’accouchement/sexualité dénote sans ambiguïté un pouvoir fertile et reproducteur. C’est Devi la Créatrice, la Mère de l’Univers, la Force de la nature qui nourrit.
Le défunt érudit David Kinsley, auteur de plusieurs études portant sur la Déesse en Inde, écrivait que l’absence de la tête de Lajja Gauri était voulu, afin que ses dévots se concentrent sur sa fonction cosmogonique de Source dont Tout naît : « des exemples très anciens découverts en Inde de déesses nues accroupies ou avec leurs jambes déployées, dont les caractéristiques iconographiques saisissantes de ces représentations sont leurs organes sexuels, ouvertement exhibés. Ces déesses ont souvent les bras levés au-dessus de leur corps et sont sans visage ou sans tête. Il est fort probable qu’elles sont sans tête dans le but d’attirer l’attention sur leur physiologie, l’emphase étant sur leur vitalité et vigueur sexuelle. »